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Je continue de mentir à mes parents même à 40 ans…

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Même en étant considéré comme un "adulte responsable", il n'est pas rare de mentir. Omission ou désir de protéger sa vie privée, les mensonges font partie intégrante de notre quotidien. Une attitude à blâmer ? Pas nécessairement.

Vous vous rappelez encore du traditionnel plat de crevettes au curry que votre mère cuisinait spécialement pour vous à chacun de vos anniversaires. Le problème, c’est que vous fêtez vos 40 ans aujourd'hui, et que vous n’avez pas la tête à la fête. En plus, les crevettes sont bannies de votre alimentation depuis un moment déjà. Mais votre mère, elle, est encore persuadée que c’est votre plat préféré.

Comment lui avouer que déjeuner chez elle le jour de votre anniversaire est devenu un calvaire, alors qu'elle se fait une joie de cuisiner pour vous ? Vous décidez alors, comme depuis cinq ans, de vous taire et de manger sagement le repas préparé avec amour.

Le mensonge existe aussi chez les adultes

La docteur en psychologie sociale Claudine Biland, auteur d'un livre* sur la psychologie du menteur, explique :

"Bien communiquer, c’est considérer l’autre et mesurer ce qu’il est prêt à entendre. En d’autres termes, c’est savoir mentir ou, du moins, ne pas dire toute notre vérité. Nous sommes de pauvres êtres humains. Il faut bien combler nos failles d’une manière ou d’une autre. On ment au travail, à son mari, à ses enfants et ceux-ci apprennent, en partie, à mentir en nous imitant. Mentir à l’âge adulte est parfaitement normal et ne signifie pas que l’on se comporte comme un sale gamin. Gare à l’infantilisation".

En effet, qui peut affirmer en toute sincérité n’avoir jamais menti à ses parents ? Dans la vie d’adulte on se retrouve aussi, à un moment ou à un autre, dans la peau de l’adolescent désireux de transgresser les règles et de franchir les interdits. Camoufler une soirée trop arrosée, taire une faute professionnelle, dissimuler une envie : les occasions sont multiples et les exemples ne manquent pas.

C'est le cas de Christine, 47 ans qui avoue : "Mes parents m’ont récemment offert une lampe que je trouve atroce. Après avoir cohabité avec elle quelque temps, j’ai décidé de m’en débarrasser. Plutôt que de leur avouer qu’elle ne me plaisait pas, j’ai préféré leur dire qu’elle était cassée. Depuis, j’ai la trouille qu’ils m’offrent la même. Je ne suis pas capable de leur dire la vérité, j’ai peur de les blesser. C’est un problème : ils me font beaucoup de cadeaux que j’entasse dans mon appartement. En fait, chez moi, je ne vis pas comme je veux". 

*Psychologie du menteur (Odile Jacob)

Le mensonge comme protection 

"J’ai des mensonges en réserve, tout prêts, au cas où, raconte Nathalie 38 ans. Si ma mère me demande ce que mon mari m’a offert pour mon anniversaire, je réponds toujours “Une paire de bottes”. Je ne supporte pas cette question ! C’est comme si elle évaluait la santé de mon couple à l’importance du cadeau. Je trouve son intervention intrusive. Je lui mens aussi systématiquement sur l’argent. Je ne veux pas qu’elle me plaigne comme une petite fille. J’élabore des stratégies avec mon frère qui ment aussi énormément. Lui et moi, on se dit tout. Il faut même que l’on se tienne à jour de nos mensonges respectifs pour ne pas être pris en faute". Le mensonge se révèle parfois nécessaire pour prendre son indépendance et couper le cordon, surtout lorsque les questions portent sur notre vie personnelle et intime.

Mentir par discrétion, par peur de la punition, ou pour se protéger nous-même ou les autres n’est donc pas rare. "Quand j’ai recommencé à fumer, après cinq ans d’interruption, je me planquais comme une ado, raconte Florence, 38 ans. J’avais peur d’être surprise par ma mère et de subir ses reproches. C’est, bien sûr, arrivé et j’ai dû accomplir mon douloureux coming out. Lorsque je déjeune avec eux, je limite ma consommation à trois cigarettes, ce qui me permet de leur affirmer que je ne fume pas tant que ça. Je me sens moins coupable. Le mensonge m’apparaît comme le seul et unique moyen de me protéger et de les protéger, je perçois mes parents tellement inquiets".

Il existe donc souvent une bonne raison pour cacher des choses à nos proches. "Le menteur a toujours quelque chose à gagner, mais ce "quelque chose" recouvre des réalités très différentes, explique Claudine Biland. Quand on ment pour ne pas décevoir ou ne pas inquiéter, c’est l’estime de soi et l’amour de l’autre qui sont en jeu, pas moins". 

Dédramatiser le mensonge

Le mensonge peut s’avérer parfois très délicat, comme lorsqu'il sert à dissimuler l’essentiel de sa vie. C’est le cas de Claire, 43 ans, qui cache régulièrement à ses parents vivre avec un homme d’origine maghrébine. Ses parents la croient donc toujours célibataire. "Ils n’accepteraient pas cette union et je ne veux même pas ouvrir le débat". Alors, quand sa mère décide de lui rendre visite dans la capitale, son homme déménage docilement à l’hôtel. L’appartement est vidé de tous vêtements et photos ; plus rien ne doit faire état de cette relation secrète. 

"Le mensonge est indispensable pour évoluer calmement en société, conclut Claudine Biland. Et il n’y a aucune raison de mal le vivre, sauf, bien sûr, dans les cas extrêmes ou lorsqu’on s’enfonce dans une spirale mythomaniaque". 

Olivier De Bruyn pour BFMTV.