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Texto et internet : ou comment tromper son conjoint virtuellement

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Pour pimenter ses amours, réveiller un désir endormi, ou oser de nouvelles rencontres, les nouvelles technologies sont là, prêtes à nous aider... Tromper à distance serait-il devenu un acte banal ?

En un sms, quelques mots suffisent pour une grande déclaration. Rapide et discret, il est facile à taper et peut s’envoyer à n’importe quelle heure du jour et de la nuit sur la messagerie de l’être aimé – ou convoité. Bien plus pratique qu’un appel, qui pourrait le réveiller… avec sa femme. Aujourd’hui, impossible d’entretenir ses amours et rendez-vous secrets sans l’aide de son mobile. Un petit bruit annonçant la réception d’un message, et notre cœur s’emballe … «Avec le portable, on cultive le mystère, apprécie Nathalie. On ignore où est l’autre et réciproquement. S’il est dans son lit, son humeur du moment…». Le texto, ou Short Message Service est au téléphone portable ce que l’e-mail est à Internet. « Lancé par les 17-25 ans, le texto a “explosé” en 2000. Mais son usage s’est vite élargi, notamment auprès des femmes de 35-45 ans qui l’utilisent dans leur vie amoureuse, pour nouer une relation», explique Carole-Anne Rivière, auteure d’une enquête pour l’observatoire France Télécom et sociologue au laboratoire de recherche UCE (Usage, créativité, ergonomie).

Un sentiment de liberté

Le texto se réfère directement à notre cadre intime, contrairement au mail qu’on emploie d’ordinaire pour les questions professionnelles. Envoyer un sms, c’est comme fixer un rendez-vous clandestin : normalement, seul le propriétaire du portable connaît l’existence du message. Il évite aussi les mésaventures que peuvent provoquer l’e-mail. Anne en a été victime en voulant dissuader son frère de rejoindre sa maîtresse en quittant femme et enfant… en un clic malheureux, elle a envoyé le message à tous ses proches, belle-sœur comprise… Une anglaise a connu le même type de maladresse : elle avait envoyé un e-mail à son amant pour lui faire les louanges de ses prouesses sous la couette : l’intéressé, un avocat pas très modeste, a voulu transférer le mail à ses amis en l’accompagnant d’un « joli compliment, n’est-ce pas? »… mais le message fit le tour du globe.

Caché derrière son portable ou son écran, on s’autorise à exprimer ses émotions de manière «plus excessive, mais moins ostentatoire», analyse Ca­­role-Anne Rivière. Le dialogue le plus osé devient possible puisqu’«il n’y a pas de confrontation directe verbale». Une attitude valable quel que soit l’âge : que l’on soit ado, mariée ou célibataire, on peut rougir sans entrave en lisant les mots doux ou crus qui nous sont adressés, oublier sa timidité… et oser aller voir ailleurs.

Un frisson de plaisir et d’impatience survient dans l’attente de la réponse, comme dans toute relation de séduction. Un refus reste douloureux, mais plus facile à digérer que s’il avait été prononcé à haute voix. Le texto a, pour Pascale qui aime surprendre ses amants, un effet désinhibant : « Quand on est amoureux, il y a des situations où l’on désire savoir où l’autre en est. Sans forcément avoir envie de téléphoner, donc ce peut être l’occasion d’avoir une réponse tout de suite ou choisir de ne pas répondre immédiatement… Et puis il y a des choses pas faciles à dire…»

Le texto : un remède à l’inhibition

Le sms permet aussi de partager ses émotions à chaud, dans l’instant, répondant ainsi à un besoin primitif. Frédérique, mariée, a été surprise de l’audace dont elle a fait preuve lorsqu’elle a envoyé un sms à un amour de jeunesse, rencontré sur le parking de Carrefour une heure plus tôt… Collée à son portable, elle n’a pas décroché jusqu’à un explicite « Game over? Non, on continue… », quelques textos plus tard.

Internet et les portables seraient-ils réellement devenus les alliés officieux de l’adultère ? « Mes relations extraconjugales sont des liens qui ne peuvent guère s’exprimer autrement que par le recours au texto… D’ailleurs, c’est un ex-amant qui m’a initiée à l’usage du SMS, explique Nathalie. Plus je l’utilise, plus j’aime ça. Le matin, je suis déçue quand ma messagerie est vide. » Le mobile, en stockant ces précieux messages, devient « objet de conservation de la mémoire personnelle, au même titre qu’un journal intime, qu’un coffret refermant ses secrets », re­marque Carole-Anne Rivière. Il est à l’image de notre rapport au temps, toujours plus rapide, et de notre lien aux autres qui est en mouvement continu. «J’ai beaucoup de mal à effacer mes messages, avoue d’ailleurs Nathalie. Comme si, en jetant le message dans la corbeille – symbolisée par une icône représentant une boulette de papier –, j’effaçais l’attirance exercée par cette personne… et je jetais l’individu à la poubelle.»

La drague 2.0

Ces nouvelles liaisons, clandestines ou non, et parfois moins réelles que virtuelles, s’entretiennent pourtant encore à l’ancienne. Au cœur du désir, on retrouve le manque, et le plaisir du mot qui réussit à stimuler l’imaginaire. Le pseudo, lui, se transforme sur le Web en attribut de séduction. Les sites de rencontres ou de chat sont, pour Willy Pasini, psychiatre(1), de véritables «bars virtuels qui fleurissent toujours plus… « On personnalise son approche », note Caroline Ponsi, chez Orange, en renseignant notamment son profil (ASV= âge, sexe, ville). Le bon vieux flirt, version high-tech… mais l’authenticité en plus. « On tombe les masques, confie Marie-Sophie. On parle vraiment de soi, de ce dont on a envie ou pas. On retire tout le contexte social, familial, amical et professionnel. » Plus amusants et subtiles que la drague en face à face, ces échanges feraient aussi durer le plaisir. Carole-Anne Rivière, qui a discuté avec plusieurs couples durables rencontrés sur internet, explique : « Pour des femmes de 30 à 50 ans qui ont le sentiment de ne plus rencontrer de têtes nouvelles et se voient mal aller draguer en boîte de nuit, ces rencontres sur Internet constituent un “deuxième marché matri-monial” ». Des couples rassemblés «par la grâce de cette distance intime qui aiguillonne l’imaginaire et les fantasmes», note Pascal Lardellier, chercheur en sciences de la communication, à Dijon. En quelques clics, on se cherche pour un soir ou pour toujours, que l’on soit des infidèles 2.0, des zappeurs néoromantiques ou de vrais esseulés espérant une rencontre rapide et sérieuse. Un outil pour réinventer les rituels d’approche amoureuse. Protégés par le masque de l’anonymat qui dissimule «l’habit social», on rejoue le jeu de l’amour et du hasard.

(1) Auteur de «Nouveaux comportements sexuels», Odile Jacob.

Isabelle Soing