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Utiliser la dépression comme un tremplin vers le bonheur

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Tomber dans la dépression est une souffrance terrible. Mais contrairement à ce que l’on peut penser, cette épreuve peut s’avérer être un véritable tremplin pour en sortir plus libre et plus mature. Explications. 

La "maladie du siècle", comme on la nommait autrefois, touche chaque année entre 10 et 15 % des français de 15 à 75 ans, soit plus de 6 millions de personnes. Aujourd’hui, les spécialistes se penchent sérieusement dessus pour mieux la comprendre, la prévenir et la guérir. Mais ce trouble psychique grave ne serait-il pas également une chance, au fond ? C’est l’hypothèse soutenue par de plus en plus de professionnels : très dure à vivre, la dépression pourrait aussi s’avérer "positive". Elle serait même une opportunité permettant de réapprendre à mieux vivre, à condition de la soigner en essayant de comprendre les messages qu’elle nous envoie. Différentes étapes existent pour réussir à s’en sortir, commentées par Moussa Nabati, psychanalyste, et Étienne Payen, médecin.

Regarder la dépression en face

Pour sortir de la dépression, il faut avant tout sortir du déni. Il est indispensable d’accepter le fait d’aller mal, et de ne plus vouloir vivre comme si de rien n’était. En adoptant cette attitude, la dépression peut devenir l’occasion de s’occuper de soi, et de se pencher sur son histoire pour servir son épanouissement personnel.

"Paradoxalement, alors qu’ils savent pertinemment que quelque chose ne fonctionne pas dans leur existence, nombreux sont ceux qui mettent tout en place pour ne surtout pas régler leur problème. Souvent, ils tentent même de l’oublier dans les pratiques compulsives ou dans les médicaments", déplore Étienne Payen. Rester sourd à la souffrance, c’est refuser d’écouter le message que notre esprit et notre corps essaient de nous faire passer : c’est la théorie de la "dépression positive". Le médecin explique que "La dépression dit 'Stop ! Cesse de te mentir. Tu n’y es pas !' Elle est un mécanisme qui permet de se soustraire aux tensions, de se mettre en stand-by pour prendre, enfin, le temps de réévaluer sa vie." Pour imager, ne pas travailler sur ce que signifie le mal ressenti revient à ne pas ouvrir une lettre reçue.

Selon le psychanalyste Moussa Nabati, de la même manière que la fièvre ou des symptômes douloureux révèlent la présence de microbes du point de vue physique, la dépression révèle souvent une souffrance liée à une culpabilité ancienne, inconsciente ou imaginaire. "Quel que soit le facteur déclencheur, quand l’humeur dépressive s’intensifie, se prolonge et gèle tout désir, on peut dire que l’origine du problème tient à une dépression infantile précoce", explique-t-il. Le mal-être ressenti est donc le témoin qu’il existe une détresse présente en nous, celle de notre propre enfant intérieur.

Ecouter ses besoins enfouis

Si la dépression touche l’un de vos proches, ou si elle vous touche directement, apprenez à (vous) observer. "En retraçant l’histoire de mes patients dépressifs, j’ai remarqué que la grande majorité d’entre eux évoquait, à un moment ou un autre, une indisponibilité psychologique de leur mère pendant la grossesse ou durant leur petite enfance. Indisponibilité due à des préoccupations conjugales, familiales, personnelles ou professionnelles. Ainsi, bien qu’elle ait fait de son mieux pour tout gérer, parfois même en couvant trop, le sentiment d’abandon ressenti par le bébé a créé une blessure qui, à l’âge adulte, s’illustre par une forte sensation de culpabilité, un manque de confiance en soi, une peur de la solitude, de la critique, de l’indifférence". Si vous ressentez de manière irrépressible le besoin d’être rassuré et choyé, c’est que votre enfant intérieur vous envoie un signal. Il ne va pas bien, il faut donc le soigner.

Commencer une thérapie

"Comprendre pourquoi on fait une dépression nécessite toujours d’entamer un pèlerinage intérieur. Or, rien n’est plus difficile que de l’effectuer seul(e) de son côté. Voilà pourquoi rencontrer un thérapeute est primordial pour plonger dans sa douleur en toute sécurité", explique Moussa Nabati. Un avis partagé par Étienne Payen : "En libérant la parole, la thérapie, associée ou non aux médicaments, permet au patient de reconnaître qu’il est temps de lâcher quelque chose et surtout de donner un sens à ce qu’il traverse. Elle agit comme un moteur favorisant un changement d’état d’esprit".

Savoir dire "non"

Tomber dans la dépression est le signe que cela ne va plus dans votre vie. Elle signifie qu’il faut vous défaire de certaines de vos habitudes empoisonnantes au profit d’attitudes plus saines. Mais Étienne Payen met en garde : "Il serait trop simple de croire qu’il suffit de quitter quelqu’un ou de changer de boulot pour régler ses problèmes. En réalité, il convient de prendre un peu de recul sur son histoire pour parvenir à modifier certaines manières de réfléchir et de réagir." Selon lui, il faut apprendre à dire "non", non pas pour l’envie de riposter, mais pour mieux se faire entendre et ne plus se faire aimer pour ce qu’on offre, mais pour ce qu’on est.

Ce "non", il faut aussi se l’adresser à soi-même. Il faut parvenir à dire "non" à ses mécanismes de défense et à ses travers. "Il s’agit de devenir pour soi-même de bons parents, explique Moussa Nabati. Devenir sa propre mère lorsqu’on éprouve des difficultés à prendre soin de son corps, de son alimentation, par exemple. Ou endosser le rôle d’un père attentif à soi lorsqu’il s’agit de s’auto-protéger de certains comportements destructeurs." Transformer son vide intérieur en énergie passe par une modification de la manière dont on se considère : il faut apprendre à ne plus se confondre avec son enfant intérieur qui pleure.

(Re)trouver le bonheur

Le travail de thérapie, selon Étienne Payen, entraîne un effet domino qui pousse le patient à sortir du phénomène dépressif. Il apporte un nouvel équilibre, et permet de (re)nouer avec le bonheur.

"Je me souviens d’une patiente de 35 ans venue me consulter en pleine dépression après une rupture amoureuse, raconte Moussa Nabati. Rapidement, elle s’est mise à relater son enfance et sa blessure d’avoir été élevée en partie par sa grand-mère car elle avait vécu cette période comme un abandon. Or, elle s’est aperçue, grâce à l’analyse, qu’elle avait toujours eu avec son compagnon un comportement infantile. Elle cherchait la fusion, était jalouse, exclusive : tout dénotait qu’elle n’était pas en position d’adulte dans cette histoire mais, au contraire, qu’elle demandait à l’homme qu’elle aimait de jouer le rôle d’un substitut maternel. Cette prise de conscience l’a progressivement amenée à accepter son histoire pour ne pas la rejouer et à ne plus remplir son vide intérieur par le biais d’un autre. Et donc à retrouver sa subjectivité : fini de faire semblant d’aimer le tennis comme son ami. Elle s’est remise à la peinture, à faire des choses seule sans angoisse. Puis, plus autonome psychiquement, elle a rencontré un nouveau compagnon qu’elle a pu aimer en tant que femme, c’est-à-dire en étant dans le désir et non plus dans le besoin."

Reconstruire durablement ses failles

Un nouveau cadre de vie, d’après Étienne Payen, peut améliorer l’état dépressif. Une théorie qu’il a pu observer : "J’ai reçu en consultation une patiente de 49 ans qui souffrait de troubles obsessionnels compulsifs (lavage, nettoyage) et de dépression. Rapidement, il est apparu qu’elle se sentait coincée entre un mari bourru et des parents aisés qui réparaient les erreurs de gestion de son époux. C’était une femme qui disait oui à tout et se sentait obligée de tout assumer. La thérapie a consisté à travailler sur la confiance en elle, mais aussi sur la notion de refus, ce qui fut difficile du fait de sa culpabilité. Peu à peu, elle a appris à mettre son conjoint devant ses responsabilités financières, à dire à ses parents que leur argent ne leur laissait pas le droit de diriger sa vie et, par un effet de cascade, elle a pu s’approprier son existence, avoir des projets personnels et voir disparaître ses tocs". La dépression peut donc avoir le pouvoir de nous guérir profondément et durablement de notre passé, et nous aider à reprendre notre vie en étant plus libre mais aussi plus mature.

Marie France pour BFMTV