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Zohra K., mariée de force, séquestrée, violée: "Je pardonne car c'est le poids de la tradition"

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- - Paulina Benavente

Envoyée en Algérie contre son gré à 16 ans, Zohra K. y passera 20 ans. 20 ans pendant lesquels elle est mariée de force, séquestrée, violée. Elle raconte cet enfer dans son livre "Jamais Soumise". BFMTV l'a rencontrée.

Comment avez-vous pu tenir aussi longtemps?

J'aurais pu devenir folle si je n'étais pas partie. J'ai tenu parce que je n'avais pas le choix. On tient le coup. Le cerveau développe un instinct de survie, de protection.

Comment expliquez-vous le manque de solidarité entre les femmes, pendant ces 20 ans de captivité?

C'est normal. Même si elles ne veulent pas vivre ça, elles n'ont rien vu d'autre. Moi je suis née en France, je sais qu'à l'extérieur de ce monde, il y a un autre monde. Mais elles ne l'ont pas vu. A la naissance, une femme est déjà programmée à être une épouse et à faire des enfants. Elles ne peuvent pas se révolter.

Vous réussissez aussi à ne pas en vouloir à vos parents…

Je pardonne parce que c'est le poids de la tradition. Mon père a demandé pardon en insistant bien sur le fait que ce n'était pas lui mais le poids de la tradition. Je me suis dit qu'ils avaient forcément vécu la même chose pour reproduire cela. Mon père a demandé pardon. 

Comment pourrais-je en vouloir à ma mère? Elle est analphabète mais elle est très intelligente, très fine, elle a vécu le même calvaire avec mon père. Si j'en voulais à ma mère j'en voudrais aux femmes du monde entier. C'est vrai que ce sont les femmes qui perpétuent la tradition. Mais quand je lui ai dit que je devais rompre ce cercle, elle a accepté. J'ai racheté ce qu'elle n'a pas pu faire, ce qu'elle aurait voulu faire. Quand mon père est mort, elle a à peine pleuré, c'était comme une libération pour elle, elle a repris l'école. Elle a appris l'arabe. Elle va dans les bibliothèques à Paris, maintenant.

Comment s'est passé votre retour en France?

Il a fallu tout réapprendre, c'est comme sortir de prison. Je ne connaissais pas l'administration, les impôts, la CAF. Quand je suis partie, les cartes bleues n'existaient pas, en revenant il y a des cartes bleues, des ordinateurs, des téléphones portables. Mais mes filles étaient encore là-bas, je n'ai pas eu le temps de me poser trop de questions: je me levais, je sortais, je frappais à toutes les portes. J'ai appris à travailler, je ne savais pas lire une fiche de paie, il fallait que je courre, que je sorte mes enfants de là.

J'ai tout appris dans la foulée, j'ai avancé sans réfléchir. Pour mes filles ça a été pareil, je dis que je les ai mises au monde une deuxième fois. Elles ne parlaient pas français, elles n'étaient jamais sorties de là-bas. Et il fallait faire vite parce qu'il fallait travailler, rentrer dans le moule de la société. Aujourd'hui, nous vivons toutes les quatre ensemble, elles ont encore du mal à se détacher.

Avez-vous eu des nouvelles de votre ex-"mari" et belle-famille?

Non, je n'en veux pas. Mais j'ai poussé mes filles à prendre contact avec leur père. Il a des remords parce qu'il sait ce qu'il a fait, ils savent tous qu'ils ont été loin avec moi. Il a eu des remords en voyant ses filles et quand il a su que c'était moi qui les avais encouragées à le voir, alors que lui m'avait fait l'inverse quand elles étaient là-bas, il les a retenues en otage pour me mettre la pression.

Pourquoi avoir écrit ce livre?

J'ai écrit ce livre pour mes filles, c'était une forme de réparation. Je suis consciente qu'il y a beaucoup d'autres cas dans le monde, je ne veux pas limiter mon histoire au monde arabe. On sait que ce sont des extrémistes intégristes qui font ça et il y en a dans toutes religions. Il faut que ça s'arrête.

Je suis retournée une fois en Algérie, en 2013, avant d'écrire le livre. On se dit que c'est dans notre tête, on a du mal à se dire que l'on a vécu ça. Je n'ai pas regretté d'avoir écrit le bouquin. Je sais que ce livre va leur faire du mal même si j'ai changé les noms. Mais quand j'ai appris que c'était toujours pareil, la pédophilie, la violence, je me suis dit que j'avais bien fait. C'est une famille qui n'a pas beaucoup changé. 

Comment allez-vous, vous et vos filles, aujourd'hui?

C'est maintenant que tout le monde est casé, que je m'autorise à craquer. Je n'ai pas refait ma vie, ce n'est possible, je ne peux pas. Je vis de ma passion pour ma peinture. Mes filles sont là, elles s'en sortent mais quand on vit avec un paquet comme ça, ce n'est pas toujours rose. Elles sont encore marquées, c'est un travail qui n'est pas fini. Ce passé nous aide à avancer et nous fait relativiser les petits bobos du quotidien. Le livre les aide à s'exprimer, c'est un pas vers la guérison, pour elles comme pour moi.

Propos recueillis par Paulina Benavente.